Pacte national pour l’investissement: La nouvelle révolution de Mohammed VI

Pacte national pour l’investissement: La nouvelle révolution de Mohammed VI




 Avec un objectif affiché de mobiliser 550 milliards de dirhams de plus et de créer 500.000 emplois d’ici 2026, le Roi semble bel et bien décidé à secouer le cocotier de l’économie nationale.


C’est, pour le moins, une véritable révolution de l’investissement que le roi Mohammed VI a lancé à l’occasion de son discours annuel d’ouverture du parlement du 14 octobre 2022. Et il y a sans doute loin d’une exagération au vu des ambitions affichées: d’ici 2026, ce sont 550 milliards de dirhams (MMDH) additionnels que l’État espère voir mobilisés. Avec aussi, et on pourrait dire surtout, comme objectif la création de 500.000 emplois en parallèle durant la même période. En somme, du jamais vu, qui commande de se prêter au jeu des comparaisons pour pouvoir être vraiment apprécié.

Cinq-cent-cinquante MMDH sur quatre ans, c’est, en effet, bon an mal an, plus de 1% du produit intérieur brut (PIB) de chaque exercice. Ce qui est beaucoup: dans une situation où les nouveaux investissements donnaient le rendement minimal qu’on attend d’eux, qui serait le double du rendement actuel -objectif tout-à-fait réaliste comme on y viendra-, cela constituerait 0,2 point de croissance supplémentaire annuellement.

Soit près de 6% du taux de croissance enregistré en moyenne au cours des vingt dernières années, et donc 6% de croissance en plus. Sans compter donc les emplois, qui, on le comprend, semblent le principal but recherché de ce “pacte national pour l’investissement”, puisque c’est ainsi que Mohammed VI a désigné cette nouvelle feuille de route à laquelle il escompte bien voir associés gouvernement et secteurs privé et bancaire: à raison de 125.000 emplois créés par an durant la séquence concernée, le Maroc ferait exactement, si jamais cela était réalisé, une fois et demi mieux que, par exemple, lors de la décennie 2010, où ce nombre n’a été que de 72.000. “Aujourd’hui, nous misons sur l’investissement productif en tant que levier essentiel pour la relance de l’économie nationale et l’ancrage du Maroc dans les secteurs prometteurs,” a, ainsi, indiqué Mohammed VI, dont ce n’était pas, il faut le signaler, le premier discours d’ouverture du parlement de ces dernières années à faire la part belle à la question de l’investissement

A ce dernier égard, le discours de 2020, intervenu dans la période de relance post-pandémie de Covid-19, avait aussi mis l’accent sur l’octroi de plus de financements à l’économie nationale pour permettre à celle-ci de non seulement de redémarrer mais même d’aller encore plus avant; ce qu’avait également réitéré le discours de 2021. Mohammed VI avait alors notamment renvoyé au rôle qu’était appelé à jouer le Fonds Mohammed-VI pour l’investissement, dont il avait lui-même lancé l’idée dans son discours du Trône du 29 juillet 2020 aux fins de “remplir une mission d’appui aux activités de production, d’accompagnement et de financement des grands projets d’investissement public-privé”, comme il l’avait détaillé dans le même discours.

Remise en scelle de Benchaâboun
Lequel fonds, officiellement actif depuis fin juillet 2021 après l’adoption en décembre 2020 par le parlement de la loi portant sa création, vient d’ailleurs de voir Mohamed Benchaâboun nommé à sa direction générale lors du conseil des ministres tenu ce 18 octobre 2022 au palais royal de Rabat: un choix dans lequel beaucoup ont vu un rappel qui ne dit pas son nom de son poste d’ambassadeur à Paris, dans un contexte de froid avec la France, mais il faut souligner que c’est du temps où le concerné dirigeait le ministère de l’Économie que le fonds, simplement appelé à l’époque Fonds d’investissement stratégique, a été mis en place. De ce fait, personne ne semble mieux indiqué que lui actuellement au Maroc pour en prendre les commandes. Au-delà d’envoyer un message ou pas à la France, la remise en scelle de M. Benchaâboun à la tête du Fonds Mohammed-VI pour l’investissement servira donc à donner le coup d’accélérateur à un chantier de l’ordre de 45 MMDH dont le tiers, c’est-à-dire 15 MMDH, ont d’ores et déjà été assurés par la loi de finances de 2022; les 30 MMDH restants devant vraisemblablement provenir du privé (rien n’a encore été communiqué à ce propos par le gouvernement Aziz Akhannouch).

Concrètement, le fonds accompagnera les sociétés actives dans des secteurs que l’État considère comme étant stratégiques, en y injectant d’abord le cashflow nécessaire à leur développement, puis en contribuant à ce qu’elles atteignent leur vitesse de croisière avant de se retirer une fois que le projet aura suffisamment mûri pour que seuls ses porteurs restent à bord. Au titre des secteurs concernés, Mohammed VI avait cité dans son discours d’ouverture du parlement de 2020 la restructuration industrielle, l’innovation et les activités à fort potentiel, les petites et moyennes entreprises (PME), les infrastructures, l’agriculture et le tourisme, mais il faut sans doute également y ajouter les industries de la défense et l’industrie pharmaceutique, qui, elles, avaient été nommément mentionnées lors de la séance de travail présidée le 16 février 2022 à la résidence royale de Bouznika par le Roi et qui avait été consacrée à la charte de l’investissement.

L’industrie pharmaceutique, en particulier, a d’ailleurs déjà fait l’objet d’un premier investissement de la part du Fonds Mohammed-VI pour l’investissement lorsque ce dernier s’était associé en juillet 2021 à Attijariwafa Bank, Bank of Africa et la Banque centrale populaire (BCP) pour la mise en place de Sensyo Pharmatech, qui se veut un futur champion africain du vaccin et des biothérapies. S’agissant de la défense, le Fonds devrait à l’évidence chercher à mettre à profit la mise en place du cadre juridique pour une industrie 100% marocaine en la matière, avec la loi relative aux matériels et équipements de défense et de sécurité, aux armes et aux munitions: on parle d’ores et déjà de projets d’usines de fabrication de drones israéliens, dans lesquels on peut très bien imaginer voir le Fonds Mohammed-VI pour l’investissement mettre ses billes.Mais, en dehors de l’identification des secteurs stratégiques de ceux qui ne le sont pas, le fait est que le vœu de Mohammed VI, et cela aussi bien à travers le fonds qui porte son nom que dans le cadre du nouveau pacte de l’investissement ainsi que d’autres initiatives sur lesquelles il y a lieu de revenir, est que le secteur privé ose plus et qu’il ait en même temps les moyens concrets d’oser plus: rappelons que l’un des objectifs du Nouveau modèle de développement (NMD), dont il avait lui-même posé les jalons dans son discours d’ouverture du parlement de 2017 avant son adoption finale en mai 2021, est qu’à l’horizon 2035 ce soit les deux tiers, et non plus un seul tiers, du total de l’investissement national qui soit assuré par ce secteur privé.

PME et jeunes porteurs de projet
Dans ce sens, on se rappelle que bien avant même la nomination, en décembre 2019, de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), Mohammed VI avait, là aussi dans un autre discours d’ouverture du parlement, celui-là d’octobre 2019, exhorté les banques à offrir un meilleur accompagnement aux PME et aux jeunes porteurs de projet; ce qui débouchera à partir de février 2020 sur le programme intégré d’appui et de financement des entreprises, dit aussi “Intelaka”. A ce jour, ce sont 28.665 projets qui ont bénéficié de ce programme, et à terme on espère pouvoir créer 97.000 emplois directs. Si on souhaite autant compter sur le secteur privé, ce n’est toutefois pas seulement pour desserrer le goulot autour de l’État, qui ainsi pourra réduire sa voilure et rendre une copie plus propre à ses créditeurs, notamment dans le cortège des institutions financières internationales -on rappelle que le taux d’endettement public dépasse sans doute désormais les 100% du PIB-, mais aussi pour des considérations pratiques de croissance et de création d’emplois: du fait apparent de la prédominance de l’investissement public non-productif -dans le BTP notamment, avec par exemple la politique des grands chantiers-, le Maroc rate en effet, dans un niveau comme dans l’autre, le coche, et ce en dépit du troisième taux d’investissement le plus élevé au monde, en l’occurrence 33,2% du PIB, que seules dépassent les puissances émergentes que sont la Chine (42,1%) et l’Inde (34,3%). A ce propos, le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, rappelait le 15 février 2022 à la Chambre des représentants, par qui il avait été invité à s’exprimer devant sa commission des finances, que depuis 2000 ce taux d’investissement n’avait rapporté qu’une moyenne de 3% de croissance par an; soit ce que l’on appelle dans le jargon un “incremental capital output ratio” (ICOR) de 9,4 seulement. En comparaison, cet ICOR a, au cours de la même période, été de 4,7 pour l’Égypte, 4,2 pour les Philippines, 4,9 pour la Chine, 5,8 pour la Malaisie ou encore 6,5 pour la Turquie.

Ce qui veut dire que l’investissement qui a été effectué dans ces pays a obtenu un meilleur rendement. Quant à l’emploi, M. Jouahri s’inquiétait que de 2010 à 2019, ce sont seulement 21.000 emplois qui avaient été générés par point de croissance; pire encore que la période 2000-2009, où déjà l’on signalait le taux relativement faible de 30.000 emplois par point de croissance. En conséquence, le gouverneur de la banque centrale avait estimé que ce serait en réalité 25,4% de la population qui ne travailleraient pas, contrairement à l’intervalle de 10-12% régulièrement donnée par le gouvernement, étant donné que cet intervalle gouvernemental ne prend en compte que ce que l’on appelle la population active, c’est-à-dire celle qui cherche concrètement un emploi.

Situation explosive à plus d’un titre, à laquelle ne semble parer que la solidarité caractéristique de la société marocaine, où la famille prend généralement soin de l’ensemble de ses membres indépendamment des moyens qu’elle a à sa disposition, et l’émigration: s’exprimant le 17 octobre 2022 à la Chambre des représentants, le ministre de l’Inclusion économique, Younès Sekkouri, s’est, à ce propos, carrément félicité qu’au cours des huit premiers mois de l’année ce soient près de 27.000 nationaux qui aient intégré le marché du travail à l’étranger (nationaux répartis entre la France (14.579 personnes), l’Espagne (11.429), le Qatar (109), le Canada (84), l’Allemagne (80) et l’Arabie Saoudite (77)). C’est ainsi que du point de vue des autorités, chaque émigré constitue un chercheur d’emploi en moins, et ce en dépit de la valeur ajoutée qu’il devrait en principe pouvoir apporter à son pays.

L’un des meilleurs climats d’affaires
Et grâce aux envois d’argent, l’émigration constitue, de plus, une manne de devises inespérée pour l’État; manne qui a d’ailleurs joué un grand rôle au cours de la Covid en réduisant la pression provoquée sur la réserve nationale de change par la suspension des mois durant des exportations. Les pouvoirs publics comptent justement également sur ces envois pour appuyer l’investissement, et à cet égard le dernier discours d’ouverture du parlement a “préconis[é] (...) qu’une attention particulière soit portée aux investissements et aux initiatives des membres de la communauté marocaine résidant à l’étranger”, trois mois après un propos à l’avenant dans le dernier discours du Trône du 30 juillet 2022. Il faut dire que, comme l’a révélé le ministre délégué chargé de l’Investissement, Mohcine Jazouli, à la Chambre des représentants, où il était présent le même jour que M. Sekkouri, seuls 10% des transferts des Marocains du monde (MDM) sont orientés vers l’investissement, pour même pas 2% qui le sont vers l’investissement productif.

Un état de fait que, a insisté le responsable ministériel, le gouvernement Akhannouch prend à cœur, avec notamment la mise en place d’un Desk MDM au sein de l’Agence marocaine de promotion des investissements (AMDI). Mais plus encore, étant donné l’origine disparate à travers le territoire national des MDM, leurs investissements potentiels sont aussi de nature à aider au développement de l’ensemble des régions du Royaume et non seulement de certains axes très particuliers. C’est d’ailleurs là un des principaux objectifs de la future Charte nationale de l’investissement, actuellement en discussion au parlement -la commission des finances de la chambre des représentants lui a donné son feu vert le 6 octobre 2022-, avec par exemple des primes octroyées par l’État pour les investisseurs qui s’installeraient dans certaines régions et provinces où les investissements manquent. Dans le même ordre d’idée, le dernier discours de l’ouverture du parlement a également mis en exergue le rôle dont peuvent se prévaloir les centres régionaux d’investissements (CRI), en réforme depuis juillet 2018.

Dans l’ensemble, le Maroc peut s’enorgueillir de disposer d’un des meilleurs climats d’affaires du monde arabe et d’Afrique, comme cela était souvent relevé dans l’ancien classement Doing Business de la Banque mondiale; reste donc à la population de suivre, notamment dans les rangs les plus fortunés. Comme le déclarait en juin 2020, au tout début de la Covid-19, à la Chambre des représentants, le ministre de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy, le Maroc ne peut pas continuer d’importer des lits d’hôpitaux et des tables d’écoliers tout en étant en même temps capable de produire des respirateurs et des réacteurs d’avion. Par facilité peut-être, beaucoup choisissent ainsi, plutôt que de contribuer au développement de leur pays, de laisser leur argent sommeiller, notamment dans des biens immobiliers; ce qui, sur le long terme, n’est sans doute pas tout-à-fait à leur avantage financier. Avec ou sans eux, la révolution est, quoi qu’il en soit, désormais bel et bien en marche...


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